Fantôme :
ce qui vient du passé hanter le présent. Ce qui ne laisse pas de
trace dans le temps. Un fantôme est toujours apparition : il
émerge de l'obscurité soudainement et se manifeste comme
insaisissable.
Traquer
les fantômes de nos représentations : Warburg le faisait avec
des gravures et des œuvres de la Renaissance dans son Atlas
Mnémosyne ;
Didi-Huberman le fait avec des images de cinéma, images mouvantes et
sonores. Ces images sont plaquées au sol : elles sont disposées
en une mosaïque lumineuse et mouvante, à la fois fascinante et
effrayante.
En
regardant d'en haut ces images, nous nous penchons au bord du
précipice de l'Histoire : l'Histoire en marche chez Eisenstein,
l'Histoire et sa fin chez Pasolini qui de La
Rabbia
à Il Vangelo secondo Matteo
ne fait qu'une chose : le constat de la fin des formes antiques
et innocentes dénaturées par les formes du néo-capitalisme et de
la modernité ; champignons nucléaires, avions transperçant le
ciel de la guerre d'Algérie.
Mais
alors comment les êtres peuvent-ils encore survivre ? Comment
les humbles, les travailleurs, les femmes aux mains fatiguées de
travailler la terre, peuvent-ils continuer à vivre ? Toujours
comme des êtres-gestes,
des postures et des visages. Ces gestes, sont ces mains ouvertes du
Christ mais aussi les poings levés de la révolution russe :
gestes de douleurs mais jamais de désespoir, les gestes et les corps
se posent en résistance
vis à vis d'une Histoire qu'ils n'ont pas choisie. Visages
humbles, visages en pleurs mais toujours fiers. Postures
enfin, corps sans vie devant lesquels nous sommes en deuil, corps
allongés et nus devant lesquels les êtres se recueillent et
célèbrent leur innocence.
Par
ces choix d'images rassemblées dans le même espace-temps les
gisants et les vivants de Pasolini, d'Eisenstein et d'Harun Farocki,
Didi-Huberman fait de ces fantômes des images qui se manifestent
comme apparition
et résistance :
car malgré l'injustice de l'Histoire, le visage de Marilyn, les
gestes humbles et religieux des familles en deuil sont autant de
manière de résister et de survivre, tant symboliquement que
formellement.
Ces
fantômes sont alors images-apparition,
manifestations soudaines et éphémères qui hantent le présent des
images. Images-apparition lentes comme ces deux hommes du film de
Théo Angelopoulos Le Regard
d'Ulysse
qui apparaissent lentement dans le brouillard épais, images qui nous
échappent et qui tournoient autour de nous comme ces feuilles mortes
qui s'envolent et virevoltent dans Once
upon a time, Cinema
de Mohsen Makhmalbaf.
Fantômes
violents, venus nous calomnier de notre hypocrisie vis à vis des
peuples oubliés de l'Histoire, peuples face à leur propre mort à
qui il ne reste qu'une chose, mais celle-ci ne peut leur être
volée : la beauté.